24 juillet 2008

la chambre (nouvelle)

par cécile sanchez (paris, france)

le jour se lève, sa peau est moite, elle a chaud, elle se prépare du café, ouvre les volets de la cuisine

le jour se lève il fait une chaleur à crever

elle tire sa robe bleue sous ses fesses se dandine sur la chaise en formica marron essuie sa paume moite se penche ouvre le tiroir à bois de l’antique cuisinière blanche saisit le revolver caché dedans l’essuie enfonce le canon dans sa bouche

ferme les yeux...

grimace...

ouvre les yeux...

pose la main avec le revolver sur ses cuisses respire regarde la vieille cuisinière blanche, se penche, ouvre le tiroir à bois, saisit le flingue le pointe sur sa tempe les yeux ouverts attend attend attend pose le revolver sur ses cuisses ferme les yeux attend attend attend attend attend attend attend attend attend attend attend attend saisit le flingue à deux mains le pointe dans sa bouche

se réveille en sueur

tu n’as jamais cessé de mentir jamais cessé de mentir jamais cessé de

les mots tournent ses paupières sont scellées

elle se redresse, fronce les sourcils, grimace, déglutit avec peine, bouge son bras, passe lentement la main sur les draps lisses,
lourds,
les ressorts du matelas grincent

quelque chose ne tourne pas rond

elle ouvre les yeux sur une pièce de petite taille, haute de plafond, plongée dans la pénombre, observe la monotonie des murs
blancs, l’armoire totémique
des volets de fer filtrent la lumière

des filets de pêche pendent à la fenêtre

Elle s’extirpe du lit, s’assied sur une chaise paillée passe la main sur la surface rugueuse d’une tablette de bois sombre heurte un papier roulé en boule le serre entre ses doigts le fait rebondir dans sa paume le jette au sol,

tu nages en plein cauchemar, ma
vieille.

Elle lève les mains pour se frotter les paupières
et les éloigne brutalement lorsqu’elles arrivent à hauteur de ses yeux
comme si elle avait voulu repousser les mains d’une autre.

Bras tendus, elle les observe. Deux longues marionnettes brunes, maigres, robustes —, à l’image des poignets, et des avant-bras.

La peau, enflée, est rongée jusqu’au sang à la bordure des ongles ; deux croûtes boursouflées, récentes, trônent sur le pouce gauche ; l’articulation de l’index porte la trace d’une plaie au couteau.

Elle plie les coudes, rapproche ses mains de son visage. Les ongles, pleins d’aspérités encrassées, ont été coupés ras à la pince une dizaine de jours plus tôt. Le film très fin au-dessus des petites lunes n’a pas été repoussé depuis longtemps. Les paumes sont lisses, sans cals.

Distraitement, elle mordille la peau abîmée autour de ses ongles.
Le sang coule.
Elle essuie sa plaie sur les draps

se perd dans la contemplation de l’armoire se met debout hésite shoote dans la boule de papier qui roule contre la porte. ses mains blessées pendent au bout de ses bras.

Bien qu’il fasse chaud comme en été, elle est habillée de la tête aux pieds.

Elle retire ses chaussettes, observe ses pieds, ses orteils démesurés tombe son jean, son sweet-shirt, découvre comme pour la première fois son corps
étranger.

ces cuisses, ces mollets, ces bras, ces épaules… trop mous, trop maigres... évoquent l’épuisement… la sédentarité… le confinement… mais aussi la force atrophiée, la jeunesse rompue, arrêtée...

il suffirait de pas grand chose pour leur redonner vigueur, force… rendre à ce corps l’enthousiasme, la santé...

l’ancêtre est morte…

Qui ?

... ta mémoire est morte avec elle

Une drôle de voix murmure des paroles incompréhensibles

elle ne se souvient de rien. strictement : de rien. elle a ouvert les yeux dans une chambre inconnue, dans un corps étranger. voilà tout ce qu’elle sait.

celle qui t’a précédée : l’ancêtre

n’est plus

ta mémoire est morte avec elle

deux pas en avant, nue devant l’armoire, elle hésite, d’un coup ouvre grand la porte à double battants

étouffe un cri

baisse les yeux

une étrangère la regarde

prenant son courage à deux mains, elle

bouge la main droite ;
l’autre bouge la main gauche,
la jambe gauche ;
et l’autre bouge la jambe droite,
elle tourne la tête, et l’autre la tête

c’est elle

des yeux sombres, ardents, triangulaires, profondément enfoncés dans leurs orbites, moitié dissimulés sous une arcade sourcilière barrée d’une cicatrice verticale à gauche ; un nez, pelé, dissymétrique, des cheveux noirs, courts, désordonnés, des cils, très noirs, très fournis, comme les sourcils. Un tableau tout en aspérités, sauf la bouche, charnue, sensuelle. Un anneau d’or pend à l’oreille droite, petite et pointue. Une ancienne cicatrice court à la racine des cheveux. Quelle tronche !, pense-t-elle.
Cette tronche, c’est la tienne.

Elle se laisse tomber sur le lit, roule, bascule la tête, regarde dessous. Il y a une valise ; pleine de vêtements qui pourraient être les siens. Sans plus de curiosité, elle pioche un tee shirt, un jean propre, les enfile et marche jusqu’à la fenêtre. Elle se tient devant un moment avant de se décider à l’ouvrir. Et puis non, elle fait volte-face, s’assied sur le lit, enfile la paire de baskets qui traîne là, se lève, marche jusqu’à la porte, hésite, retourne à la fenêtre, l’ouvre. A un peu plus d’un mètre de distance, un grand mur gris lui barre la vue. Elle respire à pleins poumons, quand même, en dépit du mur, l’air sent bon la mer. Elle ferme la fenêtre, retourne à la porte, tourne la clé dans la serrure et, juste avant de tourner la poignée, avise le papier roulé en boule.

Quelque chose attire son regard, oui, elle s’en saisit, le déplie, le défroisse et découvre dans la lumière faible un billet de cinq cent euros maculé de sang

Bah !, elle le fourre dans sa poche, et sort.

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