22 septembre 2008

Quand il ne reste rien.


par cécile sanchez

Qu’est-ce qui pourrait être nécessaire à écrire plutôt que rien ? Et, l’espace de la réponse, pourvu qu’on réussisse à tenir un certain temps devant son absence, finit toujours par être inattendu. Le fait d’écrire oblige au geste initial de la sincérité à soi-même, même si ensuite on n’a de cesse de l’éluder, de le diluer dans les mots. (1)
I.
pourquoi la sobriété, s’interrogea-t-elle en remettant ça. pourquoi, et à quoi bon
elle s’était immolée par le feu une sombre nuit d’hiver
le sens de son acte lui demeurait obscur
protestation désespérée contre l’injustice dont elle était victime, volonté d’échapper à ses persécuteurs.
maintenant qu’elle n'était plus, elle pouvait raconter son histoire
enclose dans l'éternel retour des motifs de son désir mort

II.

parce qu'une seule phrase irréfléchie
pouvait entraîner des conséquences désastreuses (2)

comment raconter son histoire quand rien ne reste d’elle, pas même le souvenir
quand une méfiance irrationnelle nous enchaîne par devers nous au silence
à voir les imbéciles s’imposer à travers leurs jacasseries on se sent conforté dans le sentiment du bien fondé de sa méfiance
nous voilà acquis à la poétique de la défaite
geste sédimenté d'une époque où
l’échec était victoire
nous cédons à la jouissance de la négation

l'antique affirmation par l’imposture loge la vérité dans
la contradiction

III.

Comment raconter son histoire quand rien ne reste d’elle, pas même le souvenir

encore et encore tu dessines sur une page blanche la musique du silence
Rien

IV.

Et puisqu’il faut parler de ce monde où l’on vit
tu invoques une fraternité lointaine
une communauté d'êtres fantômes qui
accompagnent ton délire de persécution
il hante tes souvenirs d'enfance
ta fiction


V.

et puisqu’il faut, dit-on, pour être, finir
(être, dit-on, ne suffit pas)
puisqu’il faut, pour vivre, en finir,

rivalisons

(1) Denis Bourgeois, entretien avec Gao Xingjian, Au plus près du réel, Dialogues sur l’écriture in Qu’est-ce que la littérature ?, p. 41.

(2)Spinoza, traité théologico-politique, chapitre 3.

VI

l’enterrement


et là, réunis autour du corps dans cette pièce
froide
destinée aux visites.

j’ai vu le foulard et le rouge à lèvres, le maquillage invisible et le fard à paupières,

la morte ne ressemblait pas à ma grand mère
elle était vraiment méconnaissable
comme tous les morts
la morte était une autre
une inconnue gisant là
sa dépouille

Mes oncles et tantes, mon grand-père, mes parents, mon frère et moi-même l’entourions
d’un silence triste
et qui ensemble
et qui l’un après l’autre
et qui d’entrer de pleurer de sortir

puis,

un rire fusa

je ne me souviens plus si c’était le mien, je crois que c’était le mien

Un rire tonna.

Ils se retournèrent.

Nous aurions pu être au cimetière. Nous étions peut-être au cimetière. Un rire tonna. Certains se retournèrent. Peut-être que c’était le mien, je ne me souviens plus si c’était le mien.

un rire s’effondra en lui-même. ils levèrent les yeux. et lentement, tombèrent les masques qui dissimulaient leur visage

l’ange était le diable, le diable était un ange, l’homme était une femme, la femme était un homme, la mère était la sœur, le père était le frère, le frère était l’amant, l’amant était le père, la vieille était la mère, le vieux était le père, le vieux était jeune, la jeune était vieille.

Et, aussi prestement qu’ils les avaient retirés ; ils remirent leurs masques. Et moi aussi sans doute. Moi qui n’avait pu, comme aucun d’eux, me regarder.


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